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Des vieilles pierres aux gravats des constructions modernes, que disent les ruines de notre civilisation ?

Alors que Gaza, en décembre 2023, s’écroulait sous les bombes des forces israéliennes, un petit groupe de membres d’institutions internationales et de conseillers de l’entreprise en stratégie McKinsey se réunissait pour imaginer le futur de l’enclave assiégée, rapportait le New York Times. Parmi les projets envisagés : un pôle commercial méditerranéen axé sur le commerce, le tourisme et l’innovation, comprenant un port en eau profonde, une usine de dessalement pour fournir de l’eau potable et un stade de foot ultramoderne. Un futur radieux projeté sur des ruines encore chaudes, alors que le présent et le passé s’effacent sous nos yeux.
En janvier, le volume des décombres qui jonchent la bande de Gaza était estimé à environ quatre fois celui de la grande pyramide de Gizeh. Ces millions de tonnes de débris toxiques qui augmentent quotidiennement sont destinés à être déblayés un jour – mais où ? Probablement, pour partie au moins, jetés à la mer. « L’Ukraine, comme Gaza, va être à reconstruire. Les conflits ne sont pas encore terminés, mais déjà les offres de service fleurissent, commente l’architecte Alain Sarfati. La ruine aurait quelque chose d’insupportable, un peu comme la mort dans la société contemporaine : il faudrait l’effacer au plus vite. »
Les choix qui seront faits pour reconstruire l’enclave palestinienne « détermineront la possibilité de se réapproprier le territoire par les communautés », estime Yves Ubelmann, cofondateur d’Iconem, une entreprise technologique vouée à la conservation d’images en 3D de sites patrimoniaux menacés. La prédation immobilière, qui suppose de raser des quartiers entiers détruits, comme ce fut le cas à Mossoul, en Irak, après le reflux de l’organisation Etat islamique, représente « une deuxième destruction, beaucoup plus radicale. En faisant disparaître les fragments de bâtiments, on fait disparaître les repères, la mémoire de communautés », ajoute l’architecte de formation.
« C’est un fait sans précédent dans l’histoire : nous sommes les témoins des ruines de notre propre temps et dans des proportions jamais atteintes », analyse la théoricienne de l’art Sabine Forero-Mendoza, autrice du Temps des ruines (Champ Vallon, 2002). Mais, si les ruines s’amoncellent en direct sous nos yeux, si elles sont surexposées en images, « elles sont, dans la réalité, peu visibles : leur rapide dispersion ou leur prompt déblaiement restent leur devenir le plus habituel ». C’est pourquoi, prophétisait Marc Augé (1935-2023) en 2003 dans Le Temps en ruines (Galilée), « l’histoire à venir ne produira pas de ruines. Elle n’en a pas le temps ». Après le 11-Septembre, qui nous vit capturer en temps réel la naissance de ruines éphémères – ces glaçants moignons des tours déchiquetées, presque aussitôt déblayés –, l’anthropologue décrivait « notre monde violent dont les décombres n’ont plus le temps de devenir des ruines ».
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